Histoire d’un médium

(…) « Azarie Pacheco, commença le narrateur, était un travailleur insouciant et humble de mon quartier quand les forces supérieures appelèrent son cœur au service de la médiumnité. Ce jeune homme intelligent travaillait dans un atelier de réparation, il gagnait honnêtement le salaire mensuel de quatre-cent-mille réis.

Compte tenu de sa compréhension générale de la vie, le spiritisme et la médiumnité lui ouvrirent un nouveau terrain d’études. Il se livra donc à ses activités avec une fascination croissante et singulière.

Azarie se consacrait amoureusement à sa tâche et à ses heures de loisir, il assumait les tâches de la médiumnité avec un dévouement sans faille. Par le biais de ses mains, de hauts mentors de la spiritualité offraient d’utiles enseignements. Par son intermédiaire, des médecins désincarnés prescrivaient des remèdes en quantité.

Si bien que son nom devint rapidement l’objet de l’admiration générale.

Certains articles de presse vinrent louer ses valeurs psychiques et, bientôt, son humble demeure recevait la visite de chasseurs de notes et de messages. La plupart disaient être de vrais spirites, quant aux autres, ils étaient à moitié croyants ou curieux concernant ces enseignements.

Le jeune homme qui avait sous sa responsabilité de grandes obligations familiales se mit à sacrifier d’abord ses devoirs d’ordre sentimental, il ne passait plus autant de temps avec sa femme et ses jeunes enfants comme il le faisait habituellement dans l’intimité domestique.

Presque toujours entouré de compagnons, vu tous ceux qui le suivaient fraternellement sur les chemins de la vie, il ne les voyait plus que pendant les repas.

Une telle situation dura longtemps vu la résistance spirituelle remarquable qui le caractérisait dans l’exercice de ses fonctions.

Comme il était doué d’une certaine éducation médianimique, Azarie avait des facilités à identifier les propos tenus par son guide sage et infatigable qui lui soulignait toujours l’importance de la prière et de la vigilance.

Or il se trouvait que chaque victoire acquise venait augmenter ses tourments et son travail.

Ses admirateurs ne se souciaient absolument pas de sa vie privée.

La plupart exigeaient qu’il reste à veiller tard dans la nuit à faire de longs commentaires très souvent dispensables. D’autres affirmaient avoir droit à l’attention exclusive du médium. Certains l’accusaient même d’avoir des préférences injustes, démontrant par là le bel égoïsme de leur amitié qui exprimait leur jalousie teintée de propos affectueux et joyeux. Les groupes se le disputaient.

Azarie nota bien que son existence prenait une tournure différente, mais il appréciait énormément de tels témoignages.

Sa renommée était de plus en plus grande. Chaque jour était le fruit de nouvelles relations et de nouvelles connaissances.

De grands centres commencèrent à réclamer sa présence. Des occasions de voyage en train se présentèrent grâce à la générosité de ses amis pour participer à des réunions où on lui rendait hommage.

À tout instant, un admirateur l’assaillait :

– Azarie, où est-ce que tu travailles ?…

– Dans un atelier de réparation.

– Oh ! oh… et combien tu gagnes par mois ?

– Quatre-cent-mille réis.

– Oh ! Mais c’est absurde… Tu n’es pas fait pour avoir un tel salaire ! C’est une misère !…

 Puis d’autres venaient se joindre à eux :

– Azarie, tu ne peux pas rester dans cette situation. Nous devons te trouver quelque chose de mieux dans le centre-ville avec une rémunération à la hauteur de tes mérites, ou un emploi dans la fonction publique qui te permettrait de mieux te consacrer à ta mission…

– Vu sa capacité de résistance, le pauvre médium leur répondait :

– Allons, mes amis, tout va bien. Chacun a la vie qu’il mérite de la Providence divine, d’autant que nous devons nous dire que le spiritisme doit être avant tout propagé par les Esprits et non par les hommes !…

Mais si Azarie était un médium, c’était aussi un être humain.

Sollicité par les exigences de ses compagnons, il ne pensait déjà plus à son foyer, et sur sa fiche de service à son travail, il commençait à y avoir de nombreuses absences.

Au début, de rares collègues dévoués cherchèrent à le défendre à l’atelier, vu qu’aux yeux de ses chefs ses fautes étaient toujours plus graves que celles d’autres collègues à cause de sa réputation. Mais un jour, son directeur le fit appeler à son bureau pour le congédier et lui fit :

– Azarie, je ne peux malheureusement pas te garder plus longtemps. Tes absences sont devenues insupportables pour l’entreprise et l’administration centrale a décidé de te retirer du cadre des employés.

L’interpelé sortit en proie à une certaine déception, mais il se souvint de la promesse de ses nombreux amis.

Le jour même, il chercha un nouveau travail, mais à chacune de ses tentatives, il se trouvait toujours un de ses admirateurs ou une de ses connaissances pour lui dire :

– Voyons, Azarie, tu dois faire preuve de patience !… Rappelle-toi que ta médiumnité appartient à notre doctrine… Calme-toi, fils de Dieu !… Retourne chez toi et nous saurons tous t’aider pour que tu puisses faire face à cette situation.

Dans le même temps, les amis du médium décidèrent de se cotiser entre eux pour lui obtenir une contribution mensuelle de 600.000 réis, afin qu’il vive uniquement pour la doctrine.

Sous l’inspiration de ses mentors spirituels, Azarie balbutia quelques protestations devant cette mesure, mais il avait aussi en tête la perspective du chômage et les besoins urgents de sa famille.

De sorte que malgré ses réticences intimes, il finit par accepter leur suggestion.

Dès lors, sa résidence devint l’objet d’un pèlerinage sans fin et sans précédent. Jour et nuit, des consultants venaient frapper à sa porte. Le médium essayait de répondre à tout le monde comme il le pouvait. Mais ses difficultés devenaient de plus en plus pressantes.

Au bout de six mois, tous ses amis avaient oublié le système de la contribution mensuelle.

Désorienté et impuissant, Azarie reçut les premiers dix-mille réis qu’une dame lui offrit après une prescription. Dans son cœur, il ressentit comme une sonnette d’alarme, mais son corps était déjà affaibli. Son épouse et ses enfants avaient de nombreux besoins.

Il était trop tard pour chercher un nouvel emploi. Sa résidence faisait l’objet de persécutions tenaces et implacables. Il continua néanmoins à recevoir de l’argent.

Il était assailli par les troubles

De douloureux déséquilibres perturbaient son cœur, mais le médium se sentait obligé d’accepter les dictats de ceux qui venaient le trouver pour des futilités.

Des Esprits trompeurs profitèrent de ses hésitations et remplirent son champ médianimique d’aberrations et de dérèglements.

Comme ses actions étaient désormais payées et que le pain quotidien des siens en dépendait, Azarie se sentait dans l’obligation de promettre quelque chose en échange quand les Esprits ne le faisaient pas. Désireux de trouver le bonheur dans l’argent ou le succès dans les affaires, voire dans les attraits que peut offrir le monde, le médium faisait toujours de belles promesses en échange des mille misérables réis qu’il recevait pour donner une consultation. Livré à ce genre de spéculation, l’heure arriva où il ne fut plus en mesure de recevoir la pensée de ses protecteurs spirituels les plus dévoués.

Comme il passait par toute sorte de souffrances et d’humiliations, il lui arrivait de se plaindre, mais il y avait toujours un client pour lui faire remarquer :

– Voyons Azarie !… Vous n’êtes pas médium ? Un médium ne souffre pas de ces choses-là !…

Quand il disait qu’il était épuisé, impatient de satisfaire ses caprices, un autre objectait immédiatement :

– Et votre mission, Azarie ?… N’oubliez pas la charité !…

Alors malgré sa profonde fatigue spirituelle, le médium se concentrait vainement tout en éprouvant le sentiment angoissant d’avoir été abandonné par ses mentors des plans supérieurs.

Ses amis d’hier se faisaient des clins d’œil et se disaient à voix basse, après l’avoir salué :

– Vous avez déjà remarqué que notre cher Azarie a perdu toute sa médiumnité ?…

Quand l’un d’eux s’exclama : Bon, il fallait que ça arrive. Depuis le temps qu’il a abandonné son travail pour vivre aux dépens du spiritisme, on ne devait pas s’attendre à autre chose.

– D’ailleurs, ajouta un autre, tous les voisins font des commentaires sur son indifférence vis-à-vis de sa famille. Pour ma part, j’ai toujours vu en lui un grand obsédé.

– Pauvre Azarie, il s’est perverti, commenta là-dessus un compagnon plus exalté, et un médium dans ces conditions est un échec pour la doctrine…

– C’est pour cela que le spiritisme est si mal compris ! fit un autre sur un ton accusateur. Nous devons cela aux mauvais médiums qui déshonorent nos principes.

En le jugeant à sa façon, chacun finit par oublier le médium par manque de charité. Même sa famille l’abandonna à son sort dès qu’il ne reçut plus d’argent.

Raillé par ceux qui lui étaient les plus chers, Azarie fut pris de révolte.

De telles circonstances étaient la dernière porte ouverte aux entités perverses qui se mirent à prendre le contrôle de sa vie.

Le pauvre naufragé de la médiumnité fit la chronique des journaux pleine d’observations ingrates et de scandaleuses remarques jusqu’à ce qu’un lit d’hôpital lui accorde la bénédiction de la mort… »

Le narrateur était visiblement ému en se rappelant ses vieux souvenirs.

« Alors, tu veux dire, mon ami, fit l’un de nous, que les poursuites policières ou les persécutions d’un prêtre ne sont pas les pires ennemis de la médiumnité…

– Pas du tout, répondit-il avec conviction. Le prêtre et la police peuvent même être la source d’un grand bien. »

Puis il fixa son regard incisif et calme sur nous, et conclut son histoire par cette phrase prononcée sur un ton grave : « Le plus grand ennemi du médium est en lui-même !…»

Francisco Cândido Xavier; Humberto de Campos (Espírito). Messages spirituels (Collection Humberto de Campos/Frère X) (pp. 36-38). FEB Publisher. Édition du Kindle.

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